Le Vent Sombre d'Octobre

mardi 29 septembre 2009

Son site se démarque des nombreux blogs polars par le soin critique apporté à ses différentes chroniques et à l'étude approfondie qu'il effectue pour chaque cycle auquel il s'attaque. Sa sélection nous intéressait donc fortement.

Sur Le Vent sombre (LVS), je parle assez peu des nouveautés, seulement des services de presse que l'on me fait parvenir puisque je n'achète que rarement des romans. Comme je les traite sans aucune complaisance et que les éditeurs ne sont pas masochistes, cela doit expliquer sans doute la raréfaction des envois. Mais je n'ai pas vocation non plus à faire vendre des bouquins.

Voici donc une sélection parmi mes dernières lectures :

Les villas rouges d'Anne Secret, au Seuil (2009), est un roman assez différent pour attirer le regard. L'histoire de l'errance d'une femme commencée bien avant le motif criminel qui ouvre le récit. Nous devons accepter de la suivre dans le vide de ces jours sans but et sans amour, dans un rapport au réel qui ressemble à de l'insignifiance et qui donne au lecteur peu à lire et beaucoup à imaginer.

Poussière tu seras de Sam Millar chez Fayard noir (2009) est un premier roman d'une noirceur totale. Ses quarante-quatre courts chapitres flirtent avec le fantastique et l'épouvante pour nous conter une enfance détruite. Des ténèbres poisseuses et sans espoir, et la laideur de l'homme, toujours et encore.

La vieille dame qui ne voulait pas mourir avant de l'avoir refait de Margot D. Marguerite, paru à la Manufacture de Livres (2009), est également un premier roman. Une écriture forte, excessive, pour nous conter l'expédition vengeresse menée par une vieille militante anti-fasciste contre les malfrats qui ont prostitué puis assassiné sa petite-fille. Une histoire de fidélité qui s'oppose à un monde de trahisons et de luttes entre truands, sous le regard complice de politiques corrompus.

Les Brumes du passé de Leonardo Padura, chez Métailié (2009), est une réédition récente en petit format d'un livre publié il y a deux ans. Padura est un romancier et essayiste tout à fait passionnant, qui joue magnifiquement des contraintes existant à Cuba pour parler de ce qui se passe dans l'île, dans des livres profondément métaphoriques. Les ambiances recrées ici par son écriture sensuelle et mélancolique sont tout à fait convaincantes, le questionnement sur le devenir de son peuple aigu et douloureux. A lire également, toujours chez Métailié, la tétralogie des Quatre saisons, qui introduit Mario Conde, le héros de Padura.

J'ai passé mon été en compagnie de James Sallis et de son héros Lew Griffin, dont les six romans sont parus à La Noire (Gallimard) entre 1997 et 2005. Comme pour Padura ci-dessus, je consacre d'ailleurs un cycle complet d'étude à cette œuvre sur LVS. Du Faucheux à Bête à bon Dieu en passant par le chef d'œuvre qu'est Le Frelon noir, James Sallis joue avec le temps et la mémoire, dans des variations vertigineuses entre réalité et fiction, illustrant toute la puissance créative de l'écrit. Il propose ainsi une profonde réflexion sur l'identité, du Noir américain et de l'écrivain, qui est aussi un formidable hommage à Chester Himes. Un must pour vous si vous acceptez que le roman noir soit autre chose que de redondantes histoires criminelles.

Également recommandés, parce que s'écartant des sentiers battus stylistiques et narratifs, les trois romans de l'Autrichien Wolf Haas (Quitter Zell, Vienne la mort, Silentium !) chez Rivages : drôles, décapants, noirissimes. Ajoutons pour faire bonne mesure les romans du Finlandais Matti Yrjänä Joensuu (Harjunpää et le fils du policier, Harjunpää et l'homme-oiseau, Harjunpää et le prêtre du mal) tous parus à la Série Noire entre 1983 et 2003. Cet auteur ne bénéficie pas sur le Web du battage entourant d'autres scandinaves alors qu'il est pourtant bien plus intéressant qu'eux, tant dans ses thématiques que dans son écriture.

Enfin, relu avec gourmandise le Tueur à gages de Graham Greene (1936) chez 10/18 et Le lien conjugal de Jim Thompson (1959) chez Rivages, deux classiques absolument incontournables du roman noir, qui abordent sans y toucher un véritable questionnement moral sur le Bien et le Mal (pour Greene) ou sur la confiance et le bonheur (pour Thompson). Un héritage fabuleux, de plus en plus méconnu des lecteurs de noir qui préfèrent s'extasier, et c'est dommage, sur une production contemporaine standardisée, sans surprises et vide d'enjeux.

La liste de lecture du Vent Sombre :

Les villas rouges d'Anne Secret, Seuil, 2009, 17,50 euros, 189 p.
Poussière tu seras de Sam Millar, Fayard noir, 2009, 19 euros, 302 p.
La vieille dame qui ne voulait pas mourir avant de l'avoir refait de Margot D. Marguerite, La Manufacture de Livres, 2009, 22,90 euros, 510 p.
Les Brumes du passé de Leonardo Padura, Métailié, 2009, 12 euros, 351 p.
Faucheux, Bête à bon Dieu, Le Frelon noir de James Sallis, Gallimard La Noire
Quitter Zell, Vienne la mort, Silentium ! de Wolf Haas, Rivages
Harjunpää et le fils du policier, Harjunpää et l'homme-oiseau, Harjunpää et le prêtre du mal de Matti Yrjänä Joensuu, Gallimard Série Noire
Tueur à gages de Graham Greene, 10/18, 317 p.
Le lien conjugal de Jim Thompson,
Folio Policier, 2002, 5, 50 euros, 251 p.

Le cri du coeur de la rentrée

mardi 15 septembre 2009

Chez Article XI ils traitent plein de sujets, dont la littérature avec dernièrement Brautigan ou encore Pancho Villa et Taibo II sous la plume du chroniqueur JBB. Nous lui avons demandé une liste, qui s'est transformée en hymne à un auteur comme vous allez le voir...

La classe ouvrière dans ta face

Tu vas voir, il en est qui couineront comme des porcinets qu'on égorge. Des autoproclamés gardiens du temple n'acceptant que la poussière des années et l'agrément du cénacle pour reconnaissance de la valeur littéraire, empêcheurs d'aimer en rond et de sacraliser en paix. Tu vas voir - aussi - qu'il s'en trouvera pour contester au bonhomme l'appellation "roman noir". Les mêmes - sans doute - ont rédigé la notice Wikipédia de King, si succincte qu'elle confine au sabotage : "John King est connu pour son refus de l'establishment littéraire, y lit-on après sa date de naissance (1960) et une phrase pour citer ses bouquins, sa posture 'populiste' ou 'populaire' selon les avis, son intérêt pour la classe ouvrière et son goût pour les sujets originaux (mouvement punk, hooliganisme…)." Cinq lignes, cas expédié, affaire réglée.

Une posture "populiste" ou "populaire" ? Mon cul !, répondrait l'auteur. John King est la classe ouvrière anglaise, voilà tout, celle qui s'est faite thatchériser par Margaret comme par les tartuffes de la gauche libérale, qui n'a jamais un rond sur son compte en banque, enchaîne les boulots merdiques et surnage d'expédients dans des banlieues grisâtres. John King écrit les laissés-pour-compte-de-tout-solde, pauvres, brutaux et racistes, beaucoup moins joyeux que les Irlandais de Roddy Doyle, moins drogués et envâpés que les personnages d'Irvine Welsh. Ceux qui boivent beaucoup. Se battent énormément. Baisent, de temps en temps et ce n'est jamais génial. Et survivent, tout juste. Reste le foot, leur truc, passion, identité, jusqu'à ce qu'on leur vole, prix des places atteignant des hauteurs stratosphériques, clubs se négociant en bourse et petits branleurs de la City s'arrogeant les tribunes.

Que je te dise : le foot, je n'aime pas. Mais le football de King, ces prolos qui attendent le week-end pour dévaster les stades, défoncer les supporteurs adverses et déverser leur haine sur un pays qui n'a cessé de les repousser davantage dans les limbes, je respecte. Pas que je goûte la violence, hein. Mais juste : King dit combien les hooligans anglais, déclassés à qui on a tout piqué même l'honneur, n'ont guère d'autre moyen de cracher leur haine pour le système que d'affûter les battes et manier les couteaux. Dans Football Factory, La Meute et Aux Couleurs de l'Angleterre (trilogie autour du foot et du hooliganisme, parue aux éditions de l'Olivier), ils se battent, à cent contre cent ou cent contre un, se fixent rendez-vous pour combattre ou se remettent de la baston : rien d'autre ne compte, sinon la bière. C'est débile ? Pis encore, mais c'est ainsi. Et il n'est personne pour l'écrire mieux que King, un style de tronçonneuse nourrie aux amphétamines, des phrases tranchantes comme des cutters balancés en pleine face et une posture exempte de tout mépris ou commisération. Sauvage et vrai.

Voilà. Je te parlerais bien aussi de Human Punk, autre des bouquins de John King publiés en France, mais je crains d'avoir fait long, déjà. Sache juste qu'il est un peu plus joyeux, un chouïa moins sombre et surtout moins violent, centré sur la musique et non sur le foot. King se boboiserait ? Je n'en sais rien. Et pour être honnête : je m'en fiche. Le seul truc qui compte, c'est que ça déchire toujours autant du steak.

La liste de lecture de JBB :

John King, TOUT !
 
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