Quatuor des possibles (2)

vendredi 12 août 2011

Suite de la sélection précédente...


Il y a des romans comme ça, ce ne sont pas des grands romans, ce ne sont pas non plus de sombres daubes, ils ne sont pas mauvais, ils flottent sur une ligne simplement agréable. Maux fléchés d’Alain Bron commence sur un rythme intéressant, chaque personnage apparaît brièvement, le tout permettant de comprendre l’histoire en un chapitre court. Pour une fois les évènements se présentent au détour des personnages, pas l’inverse. Puis l’auteur revient à une structure linéaire plus classique.

Maux fléchés a le goût d’un roman de proximité et de terroir, dans ce paysage ardéchois, pas loin de Lyon. On y parle le patois, on connaît tous les voisins et parfois de jolis petits chats sont abandonnés sur votre pas de porte. Entre habitudes rurales, coups à boire, traditions et coups de gueule, c’est la région qui est au cœur du roman, plus que l’histoire d’amour, ou l’histoire de gangsters et de vengeance. Tout l'intérêt vient de la sympathie que l’on ressent pour les personnages, à commencer par ce héros journaliste qui fait les horoscopes et les mots croisés en inventant des définitions bien particulières. C’est un polar en pantoufles, quelque chose de chaleureux et familier, mais surtout : honnête.

De l'Ardèche à Barcelone

Un vide à la place du cœur est une enquête policière racontée de façon classique, qui commence par être ennuyeuse avant qu'un petit quelque chose ne s'installe et sauve le tout, sans doute la personnalité de cette policière, Petra, avec son humeur et ses considérations sur la société. Les personnages autour d'elle, aussi, sont marqués juste comme il faut, depuis sa jeune collègue impertinente jusqu’à son adjoint passionné par la bonne cuisine. La possibilité que le responsable de deux morts par coup de feu puisse être une gamine change également la donne. L’auteur place ainsi quelques considérations sur la place de l’enfant dans la société, son image sacralisée, et sa conséquence : la façon dont l’adulte est infantilisé.

Pendant cette enquête Petra, son adjoint, ses collègues et un des « civils » vivent tous une situation sentimentale qui les amène à questionner le mariage, autre thème central de ce roman avec la différence homme/femme. Petra, montrée comme un personnage entier, grande gueule, ronchon, fait la chasse aux clichés concernant les femmes. Malheureusement elle en convoque d'autres dans ses ripostes. Son désespoir face à la misère frise le « c’était mieux avant », mais elle échappe à ce penchant réactionnaire pour n’être qu’une femme au regard assez lucide, confrontée aux aspects les plus durs de la société. Finalement, après un départ guère encourageant, la fin d'Un vide à la place du coeur donne envie d'en savoir plus sur les romans d'Alicia Giménez Bartlett.

Alain Bron, Maux fléchés, InOctavo Editions, 2011, 20 €, 297 p.
Alicia Giménez Bartlett, Un vide à la place du coeur, 2011, 10,50 €, 433 p.

Quatuor des possibles (1)

jeudi 4 août 2011

Sélection de 4 romans sur lesquels s'attarder,
pour faire contrepoids à la précédente liste de non-lecture de l'été.




Les romans d’espionnage m’embrouillent le cerveau. Je ne comprends jamais tout. Les implications m’échappent, et il y a toujours un personnage dont le rôle ne me semble pas clair. Il était gentil, ou il était méchant, finalement ? Sans doute un problème de cerveau, une lecture trop rapide, trop de westerns, ou un manque de concentration. Ce qui fait que, la plupart du temps, je ne lis pas ce genre de romans. Mais, il faut parfois des exceptions, et voici donc Mortelle hôtesse de Bernard Pasobrola. Le livre s’ouvre sur une citation de Fernando Pessoa qui met en confiance, même s’il faut toujours se méfier des citations intelligentes : elles ne garantissent pas la qualité de ce qui va suivre. Ce serait un exercice, d’ailleurs, de répertorier ces mises en bouche décevantes, limites insultantes.

Je ne suis pas experte en bio technologie et protection antivirale - enjeux de ce roman - mais l’auteur réussit à construire une trame crédible – bien que pas toujours claire pour moi. L’expert, c’est plutôt Richard Meyer, ancien médecin recruté par une agence de renseignement scientifique, tendance lobby auprès des puissants.

Il règne une ambiance apocalyptique, quelque chose de science-fictionnesque, dans cette histoire. Le décor est quasi absent, et quand l’auteur livre des descriptions, celles-ci concernent la ville d’Anvers et ses abords, une zone déserte, en quarantaine à cause d’un virus appelé « la cécité des diamantaires » (ça change du concombre et du poulet). Au Portugal, un ouragan a noyé Lisbonne, et au milieu de tout ça les protagonistes courent après des bio-puces. Meyer utilise un téléphone sécurisé, cite Clausewitz en toutes circonstances, côtoie un hacker, navigue entre France, Suisse et Angleterre... rien de plus normal dans le monde de l’espionnage. Derrière le trafic de diamants et la course aux brevets technologiques se cache l’éternel motif économique, dans un monde où l’humain n’est plus grand chose.


Pour rester dans la thérapie génique...

Si vous n’êtes pas possédé par le fantasme du voyage dans le temps quand il se présente à vous, passez votre chemin. Dans la catégorie « à lire dans un fauteuil par une journée de pluie » (l’équivalent du célébrissime roman de plage), Double Hélice remplit son rôle.
Ici, l'imaginaire est sollicité. On se demandera à peine si le principe du voyage dans le temps est correctement utilisé (et comment vérifier l'exactitude d'un fait qui n'existe pas ?), et si les aspects scientifiques présentés sont exacts. À ce sujet, il est étonnant de voir à quels points de nombreux lecteurs (donc blogueurs) ne tarissent pas d'éloges sur un roman dès lors que celui-ci aborde quelques sujets pointus tout en le vulgarisant. Voilà qu'on a « appris des choses » sans aller une seconde vérifier si l’auteur ne dit pas de conneries, car après tout il ne livre que sa vision. Que sait-on de la façon dont l’auteur s’est documenté ? Qui va croiser les différentes sources pour vérifier les théories ? Les scientifiques ne sont-ils pas parfois en opposition entre eux ? Quelle est la fiabilité d'une fiche Wikipédia ? Je ne présume pas ici des connaissances de Philippe Kleinmann sur l’ADN (un des sujets du roman), je questionne la crédulité du lecteur.

Ces questions se posent car Joshua Lenostre, chercheur à l’Institut Curie, sort de son laboratoire un jour de 2007 avec une éprouvette contenant le résultat de ses derniers travaux : un traitement qui a permis de soigner le gène malade, cause d’un cancer chez un enfant (cancer dont il est bien précisé qu’il ne s’agit pas d’une maladie génétique). Joshua se retrouve foudroyé et se réveille le cul par terre dans une ruelle, à côté d’un rat mort : c’est le Moyen-Âge. Voilà le fantasme ! Se retrouver dans le passé avec les connaissances de notre époque. Revoir Paris sans les voitures ! Pouvoir modifier le cours des choses, rencontrer Rabelais, Copernic, parler avec Leonard de Vinci ! D’ailleurs, Joshua devient – sous un autre nom - un personnage important du Moyen Âge, un personnage historique connu de tous... Une petite énigme sympathique et assez facile à deviner pour le lecteur. Ces aspects du roman sont séduisants.

L’intrigue tient dans la quête, en 2018, des enfants de Joshua mis sur la trace de leur père par un manuscrit qu’il leur fait parvenir à travers le temps... avec une petite facilité des auteurs, qui placent bienheureusement Joshua face à l’office notarial Ricci à Venise, lesquels sont toujours les notaires de la famille dans le futur… L’enjeu de cette quête : la transmission de deux solutions importantes pour la société du XXIe siècle : le traitement contre le cancer et la possibilité de fabriquer de l’hydrogène à partir d’une algue.

On pourra s’interroger sur le fait que Joshua dans le passé devient donc son propre ancêtre. Si j’ai bien tout compris. Mais aussi se demander si le temps fait une boucle, s’il existe avant toute chose un temps originel, « vierge », où tout personnage se pré-existe à lui-même avant de pouvoir revenir. Autant de questions cruciales, à se poser aussi en regardant Retour vers le futur ou Terminator.

Bernard Pasobrola, Mortelle hôtesse, Rail Noir, 2011, 15 euros, 318 p.
Kleinmann/Vinson, Double Hélice, Le Masque, 2011, 17,50 euros, 412 p.

(à suivre...)

 
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