Brûler les étiquettes

vendredi 7 octobre 2011


J'en ai souvent parlé, de cette horrible expression : "c'est plus que du polar". Elle a des variantes, comme par exemple : "C'est un vrai roman", "il explose les codes du genre"...

Ce mini phénomène (que certains n'hésiteraient pas à qualifier de complot anti-polar) revient souvent chez des lecteurs, des critiques, des bibliothécaires, des auteurs. Des gens chez qui cela n'est pas étonnant, d'autres un peu plus.

Le dernier en date - celui qui m'a décidé à synthétiser ces petites réflexions - est Antoine Chainas, qui s'exprime non pas sur un polar, mais sur un auteur de SF : R. C. Wilson.

Guéguerre de principes, diront certains, pinaillages, diront d'autres, coupage de cheveux en quatre. Peut-être. Encore faut-il être bien conscient que les mots ont un sens et que le leur enlever c'est aussi enlever du fond. Dans les romans, le fond a son importance, mais dans la méthodologie d'une analyse aussi. C'est de l'ordre de la théorisation, cela semblera universitaire (donc chiant) à beaucoup, mais... Les personnes - critiques, auteurs, bibliothécaires, lecteurs - qui vantent le genre (polar - mais ça fonctionne avec d'autres) pour dire qu'il a "gagné ses lettres de noblesse", ces personnes, donc, quand elles spécifient ensuite qu'un bon polar, dès lors qu'il est bien écrit, intelligent... c'est PLUS qu'un polar... elles vont à l'inverse de ce qu'elles disent au préalable (par flemme et par répétition du cliché critique ?). Si le polar est devenu noble, quel besoin de sortir du genre un roman policier dès lors qu'il est bon ? Le faire, ça revient à dire que les romans policiers sont merdiques : un bon polar est un polar mort est autorisé à atteindre le statut supérieur de roman "tout court".

Antoine Chainas écrit : "La manière dont ils interagissent en milieu clos, avec leurs peurs, leurs doutes, leurs failles, confère à la narration une surprenante densité que bien des auteurs de littérature blanche seraient avisés d'étudier. Mais Wilson est-il un écrivain de genre ?"

Wilson n'écrit pas de la merde - je ne l'ai pas lu mais je n'ai aucun mal à le croire (Emeric Cloche en parle dans plusieurs numéros de L'Indic), là n'est pas la question - donc il n'écrit pas de la SF. Il quitte le genre, parce que lui, il sait écrire, construire une histoire, mettre du fond... ce que confirme Antoine Chainas avec une précision : "l'alibi science-fictif paraît dérisoire au regard des enjeux narratifs globaux." Nous y sommes.

Le genre, ici la SF, n'a pas vraiment d'importance. Car : "c'est la faculté à transcender le genre de prédilection qui domine et ouvre les portes à une fiction située au-delà des figures imposées." Le genre est donc enfermé dans des codes imposés. Ce qui est vrai. Les codes existent, ce qui n'empêche en rien de faire de la littérature. Il existe aussi un "carcan" pour le roman, l'oeuvre romanesque elle-même. Un bon auteur va donc au-delà des codes, nous sommes d'accord. Mais ce n'est pas parce qu'il les assimile, les utilise à sa façon, que le roman de genre qui réussit à ne pas être barbant, mal écrit... n'appartient plus au genre. C'est la mauvaise SF (ou le mauvais polar) qui n'est pas capable de dépasser les codes, les répétant à l'identique, sans saveur. Ce qui fait qu'on marche un peu sur la tête, en fait.

Chainas dit plus loin que Wilson écrit "avec une finesse et un style", d'une façon, rattachée au reste, qui laisse entendre : lui à l'inverse des autres. Donc, ces autres, qui écrivent de la SF, écrivent de mauvais romans (de genre) cela se confirme.

Salve finale : "Alors, si vous voulez lire de la S.F. qui n'en est pas (ou si peu)..."

Je n'ai peut-être pas bien compris, et alors tant mieux cela appellera des éclaircissements. Mais il y a des personnes qui ont réfléchi, souvent, longtemps, sur la question du genre, qui en ont ébauché la définition, montré l'évolution, expliqué l'existence. On dirait que non, à l'heure actuelle cela n'a plus lieu d'être. Halte au genre, c'est mauvais. C'est réducteur. Les auteurs ne veulent plus d'étiquettes (pour des raisons commerciales ? littéraires ?).
Et, par voie d'extension : le rock et le classique, ce n'est que de la musique ; socialisme, ça ne veut rien dire c'est parti politique ; surgelé et frais c'est de la nourriture.

Voilà, je ne sais pas vous, moi c'est ça qui me file le vertige.


Caroline de Benedetti

3 commentaires:

Oomu a dit…

Oui, comme vous je ressens le même vertige. On veut nous arracher quelque chose : le sens des choses et des mots.

Il y a tellement d'œuvres merveilleuses chaque jour qu'on ne peut plus s'y retrouver.

Sans genre, c'est être sans lanterne dans l'obscurité.

La finalité est de nous enfermer dans "le beau, le bien, le vrai" et "le laid, l'interdit"..

Cachou a dit…

C'est fou, c'est exactement ce que j'ai ressenti toutes les fois où quelqu'un m'a dit (ou a dit) que "La Route", non, ce n'est pas de la SF, c'est plus que de la SF, ça n'a qu'un prétexte de SF mais c'est autre chose.
Zut quoi, c'est un roman qui se passe dans le futur, qui parle d'un monde post-apocalyptique (un des sous-genre de la SF) et qui met en scène les conséquences d'une folie humaine ou naturelle, on ne le saura jamais. En quoi est-ce que ce n'est PAS de la SF alors?!?

Idem pour le fameux "Julian" de Wilson donc (qui aurait d'ailleurs pu être une uchronie à quelques détails près, ce qui en aurait quand même fait... de la SF). Vu les réaction, on ne peut que se demander si c'est si mal de faire de la SF. Et de la bonne en plus. Comme si la bonne SF ne devait plus appartenir au genre, de part sa qualité... Pardon, je me mets juste à répéter l'article là. Mais parce que je suis entièrement d'accord.

Travis a dit…

Coucou les Fondus,

Pour avoir lu Wilson j'ai l'impression que Antoine Chainas veut peut être parler du fait que Wilson s'attache aux interactions entre les personnages plus qu'à un quelconque éléments science fictif. Je ne sais pas, peut être aussi que je ne comprends pas ce que veut dire A Chainas. Peut être que je suis fatigué aussi.

Je relirais ton article demain Caroline.

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