Les rêves de guerre, François Médéline

mardi 15 juillet 2014



"Après la guerre, parfois la guerre continue." Cette phrase tirée du roman d’Hervé Le Corre, Après la guerre, illustre bien le deuxième roman de François Médéline.

Le passé fonde le présent. Cette évidence n’a pas les mêmes conséquences pour tout le monde. Michel Molina a été un enfant confronté à la mort de son père, un adolescent amoureux et tueur ; il est devenu flic.


L'histoire de la famille Molina est marquée par la guerre, celle qui, de l’Espagne à la France, a conduit un père au suicide et laissé un enfant avec plein de questions. Il faut parfois attendre d'être adulte pour comprendre ce qui n’a pas été dit. L’enquête menée par Michel Molina le ramène sur les bords du lac Léman, sur le chemin de l’enfance.

Les rêves de guerre est raconté à la première personne. Pour autant, Michel Molina ne livre pas de pensées intimes, ce qui évite l'écueil du pathos. Au contraire, tout est dans l'action. Il "entre", il "patiente", il "déchire", il "se lève", il "arrache"... Le choix d'une écriture behavioriste, sèche, parfois répétitive, rend la compréhension du personnage moins immédiate mais confère une grande force au roman. Et quand Michel Molina est confronté aux souvenirs, le récit écrit au passé devient au présent. L'important, c'est l'enfance. « Je l’ai remise en payant, c’était madame Dubusset, la vieille à qui je pique des réglisses, des Pif Gadget, des vignettes Panini, des magazines porno, son mari me chope la main dans le sac, il est contremaître en Suisse. »

Et puis il y les personnages autour de Molina. Luis dit "le vieux", son collègue qui accompagne Molina, est une formidable ombre dont l'auteur nous laisse deviner les fêlures ; peut-être la plus belle trouvaille de ce roman. Avec eux, la sorcière dans sa maison, l'indienne chamanique, le frère trafiquant international. Ils forment une tonalité différente de l'histoire, envolées spectaculaires balancées au milieu de réminiscences cinématographiques (la scène du viol dans la voiture). Les autres sont des figurants figés dans une description parlante. La qualité se loge dans les détails. « Il a retenu son sourire, ça lui a fait rentrer les lèvres à l’intérieur de la bouche et gonfler les joues. » « Un gamin trempait une brioche au sucre dans un bol de chocolat chaud, hissé en haut d’un tabouret au comptoir. Je lui ai dit bonjour, il m’a scruté en aspirant le liquide par la brioche, s’est gratté le ventre sous son pull tricolore. »

François Médéline continue d'expérimenter les sonorités de l'écriture, dans des passages plus ou moins réussis, dont on peut d'ailleurs questionner l'utilité. Les rêves de guerre est un roman psychologique, axé sur l'individu, très différent de La politique du tumulte. Plus épuré, il raconte l'obsession, la littérature, la mémoire et l'oubli. Il est porté par deux âmes fracassées, l'un qui se tape des putes et l'autre qui vide des bouteilles. 

François Médéline, Les rêves de guerre, La manufacture de livres, 2014. 20,90 €, 327 p.

Caroline de Benedetti

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