Hervé le Corre, Après la guerre

vendredi 29 août 2014



Entre la fin de la deuxième guerre mondiale et le début de la guerre d’Algérie se logent des histoires intenses vécues dans des conditions extra-ordinaires. Hervé Le Corre plonge dans cette période deux personnages dont la complexité toute humaine fait le sel, loin des héros prémâchés.

D’un côté il y a Darlac, le flic pourri doublé d’un cynique. Il « trouve que certaines gens méritent le merdier où ils pataugent. » Il s’apitoie sur une jeune pute, éprouve du désir pour sa fille adoptive et abat un de ses acolytes. De l'autre côté, le jeune Daniel est le modèle de l’étudiant innocent passionné de cinéma, qui passe des conversations animées avec ses copains à son embarquement pour l’Algérie. Dans les collines, il se révèle bon tireur et découvre que la guerre « a donné un sens à sa vie. » Là-bas, il cesse d’observer le monde à travers ses doigts placés en cadre d’écran de cinéma. Désormais, il voit et éprouve les choses à travers la lunette de son fusil. Entre Daniel et Darlac, un homme réclame vengeance, lui qui « se fait l’effet d’être un fantôme, un revenant ne sachant plus d’où il revient mais terrifié d’y être parti. »

Hervé le Corre revient fort avec ce roman où l'on retrouve avec plaisir sa belle écriture. Le rythme de certains passages n’est pas sans rappeler le phrasé de Cormac Mac Carthy. La succession de "et", sans doute. Une grande émotion se dégage de l'histoire de ces hommes transformés par l'Histoire, héritiers des guerres marqués par le deuil et l’abandon.

Hervé Le Corre, Après la guerre, Rivages/Thriller, 2014, 19,90 €, 528 p.

Rencontre avec Dominique Forma

mardi 26 août 2014


Photographe, chanteur, étudiant en cinéma, vendeur de disques, animateur radio... Dominique Forma fait tout ça avant de réaliser à Hollywood son film Scenes of the crime (La loi des armes, 2001). Depuis qu'il est revenu vivre en France, il a ajouté une autre compétence à la liste, en écrivant des romans pour les adultes (Skeud, Voyoucratie, Hollywood Zéro) et la jeunesse (Sans vérité, Nano, Sauve-moi Nano). Avec lui, nous parlerons musique et littérature, et nous reviendrons sur l'aventure de ce film avec Jeff Bridges dans le rôle principal.

Nous vous attendons à la librairie-café Les Bien-Aimés pour cette cinquième saison des rencontres littéraires de l'association !

Bouts d'Indic - n°8

lundi 25 août 2014


(cliquer pour agrandir)

L'Indic n°8 comporte un dossier sur le thème de la prison. Dans ce numéro, Geoffroy Domangeau a consacré un article critique à l'influence du cinéma sur les romans de Franck Thilliez.

Un long moment de silence, Paul Colize

vendredi 22 août 2014



Paul Colize est un habile conteur d'histoires. Back Up avait tous les ingrédients pour plaire, quoique pas très aboutis à mon sens, avec en plus l'impression de voir les coutures. Dans Un long moment de silence aussi, tous les éléments sont réunis. Il est d'ailleurs possible de faire un parallèle avec le succès du roman d'Hervé Le Corre cette année. Après la guerre, dans un autre style, sans doute plus remarquable, raconte une autre histoire de famille qui plonge ses racines dans la seconde guerre mondiale.

Difficile de ne pas se sentir touché par ce genre de contexte. Paul Colize évoque la guerre et l'initiative vengeresse d'un groupe de juifs mené par un certain Nathan, à la poursuite de criminels nazis. Ca, c'est pour le passé et la thématique d'un (im)possible pardon. Le récit au présent a pour personnage principal Stanislas, un patron d'entreprise, baiseur impénitent et fâché avec son fils. Il porte un double traumatisme : la mort de sa femme dans un accident de voiture, et l'assassinat de son père dans un attentat au Caire. Du coup, Stanislas a vraiment, vraiment un sale caractère. On voit bien l'idée : le personnage détestable qui vous touchera quand même.
À part cet aspect un peu caricatural, le manque d'épaisseur du personnage de Nathan et quelques scènes de cul au langage tour à tour cru et emprunté ("elles assument, aspirent à ce que j'investisse pleinement les orifices dont la nature les a pourvues"), le roman se lit avec plaisir. L'énigme de la mort du père offre plusieurs possibilités que le lecteur ne manquera pas d'imaginer sans pour autant toucher la vérité. Les secrets de famille de Stanislas Kervyn intriguent et touchent.

Caroline de Benedetti

Paul Colize, Un long moment de silence, La Manufacture de Livres, 2013 (Folio policier)

La meute des honnêtes gens, Laurence Biberfeld

lundi 18 août 2014


"La sagesse populaire". Certains romans démontent allègrement cette expression toute faite. Il faut, par exemple, absolument lire Le crime de John Faith, de Bill Pronzini. Ce que l'arrivée d'un étranger au sein d'un groupe peut susciter de peur et de bêtise s'y étale sans fards. Avec sa meute d'honnêtes gens, Laurence Biberfeld tient la corde.

Si je compte bien voici son dixième roman, celui par lequel je la découvre, tardivement. J'ai déjà hâte de revenir sur mes pas, de saisir Qu'ils s'en aillent tous ! dont le titre m'avait fait de l'oeil à sa sortie. Il y a des écritures qu'on apprécie sur le champ, et c'est le bon mot : La meute d'honnêtes gens fleure la nature, les montagnes, les torrents, les arbres et les plantes. Les Cévennes. Le reste pue pas mal. Méfiance, haine, magouilles intemporelles se croisent dans plusieurs récits. À la fin du 19e siècle un gamin du bagne rêve de liberté pendant que les ouvrières d'une magnanerie crèvent à l'élevage des vers à soie. 100 ans plus tard, les précaires qui ont retapé le bâtiment se font arnaquer et reviennent l'occuper. L'internationale de la misère, pauvres d'hier et pauvres d'aujourd'hui. C'est l'enfance et le rêve, la différence qu'on assassine. Pour s'élever plus haut que son cul, il vaut toujours mieux être doté d'un coffre plein de joyaux, or et rubis...

Laurence Biberfeld sait donner corps à ses personnages. Ils ont de la gueule et ne versent pas dans la caricature. Du maire à son larbin, des ouvrières entre elles, du gendarme paumé à la vieille femme perchée dans sa montagne, voilà les humains et leurs rapports, tous sens exacerbés. Dans cette histoire le constat tend vers le sombre et les mauvaises nouvelles vous tombent sur le coin de la gueule sans prévenir, comme dans la vie. On se dit que jamais l'équilibre ne sera possible, mais au détour d'un personnage et d'une rencontre, qui sait si la grâce n'atteint pas un coeur ou un cerveau, pour redonner de l'espoir et une petite revanche. Voici un beau roman, avec toute la force de sa sobriété.

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Il avait dit « J'en ai assez de la maison de redressement »
Et les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dents
Et puis ils l'avaient laissé étendu sur le ciment
(Jacques Prévert, La chasse à l'enfant)


Laurence Biberfeld, La meute des honnêtes gens, Au-delà du raisonnable, 2014, 290 p., 17 €

Caroline de Benedetti

Puzzle, Franck Thilliez

lundi 11 août 2014



Après, "et si vous vous retrouviez enfermés dans une grotte ?" (Vertige), voici "et si vous vous retrouviez enfermé dans un hôpital psychiatrique" ?

Dans Vertige les personnages n'avaient aucune idée de la raison de leur présence au fond d'un trou. Dans Puzzle, les 8 hommes et femmes sont volontaires pour un enfermement supposé durer 5 jours. Ils participent à un jeu de rôle qui peut leur faire gagner 300 000 euros. Sauf que... Bien sûr, rien ne sera simple.

Qu'est-ce qui fait fonctionner Puzzle

Pas les personnages, dont on se fiche complètement. Leurs caractéristiques sont réduites à celles d'une fiche de jeu, empêchant toute empathie. La bâtisse immense et enneigée qui les accueille/séquestre dégage plus de puissance. Il y a bien Ilan, le jeune homme à la mémoire défaillante et aux parents mystérieusement disparus. Mais le lecteur a beau être placé de son côté, le roman se déroule sans véritable engagement. 

Pas le style, qui fait dans le fonctionnel.
Pas le fond, la multiplicité ou la réflexion, inexistants.

Ce qui fonctionne, c'est l'envie de savoir. La curiosité, le pourquoi ? Alors, on tourne les pages et on se demande : est-ce que je suis dans un remake de The Game (David Fincher), dans Shutter Island (Dennis Lehane) ou dans Lost ? C'est le genre de piste à envisager quand on lit Franck Thilliez et qu'on a compris où il va puiser ses références (voir l'article "Thilliez fait son cinéma" dans L'Indic n°8). Sur fond de soupçon de manipulation mentale et d'expériences de la CIA, le lecteur ne sait pas ce qui est vrai ou faux, jeu ou réalité. Comme les personnages, il émet des hypothèses, et il est pris d'un brin de paranoïa. Alors pour un trajet en train et une récréation, la manipulation fonctionne, si vous ne voyez pas le truc venir, et si vous pouvez passez outre quelques phrases comme "il se rongeait les ongles comme un lapin mange une carotte". Le problème de ce puzzle, c'est que quelle que soit la pièce manquante, la solution a un goût de déception car elle ne parvient pas à surprendre. Elle faisait partie des possibles. L'explication évite de tomber dans le sensationnel et l'absurde, mais elle laisse un goût de caricature.

Franck Thilliez, Vertige, Fleuve Noir, 2013, 430 p., 20,90 €
 
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