Impressions d'Europe, la littérature anglaise

lundi 30 novembre 2015

Entre vendredi et dimanche à Nantes, nous avons eu la chance de profiter d'une nouvelle édition d'Impressions d'Europe, qui accueillait la littérature anglaise avec une délégation comportant entre autre Jonathan Coe, Tim Willocks, Cathi Unsworth et Stéphanie Benson (Joseph Connolly ayant eu un empêchement pour raison de santé).


Dimanche matin les Fondus, l'Atelier de L'Oiseau Bègue et la copine Velda ont dégusté un english breakfast avec bacon, beans, oeufs brouillés et fromage pour prendre des forces avant d'aller au Grand T vous ramener des bribes de débats.


Parmi tous les propos échangés, autour de la table animée par François Braud commençons par Tim Willocks. L'auteur explique n'avoir pas une approche intellectuelle de l'écriture, mais plutôt intuitive. Il ne sait pas ce qu'une scène va donner avant de l'écrire. Selon lui, le roman noir permet un point de vue ironique sur la condition humaine et il aime l'idée que les personnages se battent pour sortir des problèmes, des obsessions qu'ils se sont parfois créés eux-mêmes. Une des forces du roman noir est de pouvoir englober les idées politiques dans le drame humain. Ainsi, Green River doit beaucoup à Surveiller et punir de Michel Foucault. Il cite également l'auteur américain Gore Vidal, pour qui connaître le film préféré d'une personne quand elle avait 15 ans en révèle beaucoup sur sa personnalité. Tim Willocks précise que ses références à cet âge sont Sam Peckinpah, Stanley Kubrick et les westerns. Pour Stéphanie Benson c'est Bruce Lee et le kung fu, et pour Cathi Unsworth le Rocky Horror Picture Show.

Faisons une courte pause musicale pour vous faire profiter d'un court moment, celui de la fin du débat pop, punk et rock, qui a pris une tournure tout à fait vivante quand Tim Willocks est monté sur scène. Voyez plutôt :


Au cours du débat "France versus Angleterre", l'auteur conclue en disant que la seule chose qui n'a pas traversé la Manche, c'est la pop musique française.

The Man in the long black coat
Cathi Unsworth et Stéphanie Benson se retrouvent autour d'une admiration commune pour Robin Cook, qui a ajouté de nouvelles zones d'ombres au noir, et David Peace, pour qui toute écriture est sonore, une approche à laquelle Cathi adhère. Elle ajoute en parlant de l'Angleterre: "Notre pays est comme une femme battue avec trop d'enfants et pas assez d'argent pour s'en occuper correctement." Pour elle, le roman noir c'est donner une voix à la victime.

Cathie "smiling" Unsworth

Stéphanie Benson aime le noir pour l'espace d'expérimentation qu'il offre, un lieu pour parler des gens auxquels la société ne fait habituellement pas attention. Ses influences se situent du côté du gothique et de l'époque victorienne, une époque révolue, dont elle veut parler aussi pour dire qu'elle n'existe plus. En reprenant l'allusion à Robin Cook, elle utilise une phrase inscrite sur le bandeau d'un des romans de l'auteur, "un roman en deuil".

François Braud (Modérateur), Tim Willocks, Marguerite (interprète) et Stéphanie Benson
Jonathan Coe explique qu'écrire le meilleur livre possible, avec honnêteté, est un acte politique en soi et aide les gens. En Angleterre, on ne demande pas aux auteurs de commenter l'actualité et les événements. Ecrire lui permet de savoir son point de vue sur cette actualité, de mettre ses idées politiques dans son oeuvre et de comprendre ce qu'il pense.
Sur son rapport au cinéma, il raconte qu'il a eu la chance de voir de nombreux films dans les années 70 à la télévision, à l'époque où il n'y avait que 3 chaînes, et donc pas le choix qu'il y a aujourd'hui à l'ère du numérique. Avoir trop de choix peut être dangereux car cela nous fait aller vers le plus simple, le plus facile, dit-il.
L'auteur trouve que l'adaptation de La vie très privée de M. Sim par Michel Leclerc est très bonne et a saisi l'essence et le ton du livre. Il aurait juste vu plutôt Brad Pitt ou Leonardo di Caprio dans le rôle de M. Sim, qui est quand même un peu lui-même. Au sujet de son écriture, il explique ses changements de forme et de structure par un souci de ne pas s'ennuyer et de ne pas ennuyer le lecteur. C'est pourquoi il aime notamment écrire du point de vue des femmes.
Il évoque aussi son rapport à la musique, et en tant qu'auteur confronté aux difficultés pour écrire, il imagine que les choses sont plus faciles à dire en musique. Récemment il a pris conscience qu'il y a trop de musique dans notre environnement, elle est devenue une bande sonore vide de sens car elle est partout, au restaurant, à l'hôtel... Au cinéma c'est pareil, elle dit constamment au spectateur ce qu'il doit ressentir, car le film lui-même échoue à le faire. Ce qu'il apprécie donc aujourd'hui pour écrire, c'est le silence.

Au cours de cette édition d'Impressions d'Europe nous avons écouté, découvert et rit. Nous avons aussi apprécié des lectures à voix haute de grande qualité grâce à Sophie Merceron et Yves Arcaix. La formule, avec une librairie, beaucoup de discussions et peu d'invités, donne le temps de la découverte et de la parole, même si la traduction en direct frustre un peu car elle prend du temps. Rendez-vous l'année prochaine avec l'Espagne. Olé !

Yves Douet et Patrice Viart, le duo instigateur du festival Impressions d'Europe

L'équipe s'agrandit

mardi 24 novembre 2015


L'association Fondu Au Noir existe depuis 2007, et avait depuis un moment l'envie de compléter son équipe "administrative". C'est chose faite cette année avec l'arrivée dans nos bureaux de Charlotte Mustière, diplômée en infographie. Nous sommes ravis de travailler ensemble pour 6 mois de mission en service civique. Les projets sont déjà nombreux, vous en verrez bientôt le résultat !

Bouts d'Indic n°12

vendredi 20 novembre 2015

Cliquer pour agrandir

Le thème du 12e numéro de L'Indic était "Le polar se fait peur". On s'y penchait sur le thriller, et puis comme d'habitude sur de nombreux autres sujets, comme la traduction avec Jean-Paul Gratias et Pierre Bondil, et puis le cinéma avec le splendide La nuit nous appartient. Voici l'article.

L'homme au cutter (Petit Polar n°426)

jeudi 19 novembre 2015


Philippe Marlu a réorchestré certaines de ses chansons sous le nom de Bob Marlu. Parmi les perles du chansonnier français vous trouverez plusieurs petits polars dont l'Homme au Cutter tiré de l'album Valse Machine (French Song, 2004).


Et n'oubliez pas votre Petit Polar n°425 chez K-Libre.

L'homme au bras d'or (The Man With The Golden Arm, 1955) Otto Preminger

mardi 17 novembre 2015



Kim Novac, Eleanor Parker et Frank Sinatra forment un trio d'acteurs de haute volée... Côté musique, sachez qu'il y a Shelly Mann à la batterie ! On est dans un cinéma qui prend son temps, qui pose une scène et laisse se dérouler le dialogue. Otto Preminger imprime un fort style visuel, les mouvements de caméra participent pleinement à l'histoire. Le moment où Frankie Machine s'approche du bar et qu'il regarde par la fenêtre procure un délicieux vertige.

À l'époque, le sujet principal du film - la dépendance à la drogue - n'avait jamais était envisagé de cette façon au cinéma, pas plus semble-t-il que les rapports amoureux adultérins... Le code Hays (petit manuel d'autocensure mis en place en 1930 par le sénateur William Hays, président de la Motion Pictures Producers and Distributors Association) veillait à ce que le cinéma soit en accord avec un "code moral rigoureux". Mais Preminger, s'appuyant sur la constitution américaine garantissant la liberté d'expression, n'a rien voulu lâcher et un terrible bras de fer s'est engagé... Le film est là, après plus d'un demi siècle d'histoire, et le code Hays est mort. Tiens ça me rappelle les Felice Brothers et leur Rockfeller Druglaw Blues même si la bande son de L'Homme au bras d'or est plutôt West Coast Jazz.

Emeric Cloche (reprise d'un article Duclock)

The Felice BrotherRockfeller Druglaw Blues



No Love Allowed (Petit Polar n°424)

jeudi 12 novembre 2015



Appellez le 911 c'est une urgence... Rihanna chante l'amour comme un meurtrier sur un rythme des îles. Votre petit polar du Jeudi est glamour et lancinant.


Et n'oubliez pas votre Petit Polar n°423 du côté de chez K-Libre.

Tweeter and the Monkey Man (Petit Polar n°422)

jeudi 5 novembre 2015



Tweeter et le Monkey Man sont deux dealers et dans la chanson il y a aussi un flic en civil, une fille qui s'appelle Jan, une ambulance et des clins d'oeil à l'oeuvre de Bruce Springsteen... tout cela est chanté par les Travling Wilburys le groupe qui réunit George Harrison, Jeff Lynne, Roy Orbison , Tom Petty et Bob Dylan.



Et n'oubliez pas votre petit polar n°421 du côté de chez K-Libre.Tweeter and the Monkey Man

Coup de torchon (Bertrand Tavernier, 1981)

mardi 3 novembre 2015



Il y a quelque chose de théâtral dans le jeu d'acteur de Noiret, Eddy Mitchell, Isabelle Huppert et Stephane Audren ; cette petite chose ajoutée à l'ambiance générale du film fait osciller le spectateur entre sarcasme, émotion, rire en jaune et tendresse. Les dialogues de 1275 âmes (le bouquin de Jim Thompson dont est tiré le scénario) sont particulièrement bien rendus. L'idée de transposer l'action qui se situe normalement à Pottsville, un trou perdu des États Unis d'Amérique, en Afrique Occidentale Française ravive - pour ceux qui les ont déjà lus, les autres devraient se jeter dessus - les souvenirs de lecture de la trilogie sur l'Afrique coloniale de Georges Simenon : Coup de lune45° à l'ombre et Le blanc à lunette.
La musique de Sarde est présente dès le début du film avec un morceau angoissant et rythmé ; imprévisible. Durant le film elle se pointe sous forme de jazz mélangé à la musique classique et pas trop loin du musette non plus, ce qui donne une couleur jazz "à la française". Faut dire que Bertrand Tavernier a fait écouter Carla Bley, Maurice Jaubert, Duke Ellington à Philippe Sarde en demandant "Comment mêler et entremêler ces options contradictoires". La réponse est dans le générique du film, celui du début et le danstesque morceau de fin : Je suis mort il y a longtemps déjà. Sarde ingurgite, synthétise et compose "un thème de thriller sur un rythme de tango", comme dira Tavernier dans les notes de livret recueilli par Stéphane Rouge pour le disque le cinéma de Bertrand Tavernier, musique de Philippe Sarde paru chez Universal Music en 2002.
Dans Coup de torchon on croise aussi deux chansons : Dans la chambre vide, une ritournelle lancinante et nostalgique chantée par Isabelle Huppert et La java de la masochiste, une chanson du trottoir interprétée par Stéphane Audran qui n'est pas sans rappeler les chansons de Mistinguett, Fréhél ou Piaf en un peu plus bancale. La musique de Philippe Sarde ne vient pas souligner les émotions des personnages et si elle a toujours à voir avec le film, c'est parce qu'elle en est un élément de construction très fort, à part entière.

Emeric Cloche (Reprise d'un article de Duclock).

Bande Annonce de Coup de Torchon (1981) de Bertrand Tavernier.



Utopiales, édition 2015

lundi 2 novembre 2015

Les Utopiales c'est l'occasion de faire le plein de rencontres, de débats, de livres, de films, de jeux et de bien d'autres choses encore. La densité du programme oblige le visiteur à une rude gestion de son temps. Nous nous arrêterons ici sur un débat ayant pour intitulé : "frontières et migrations, ces lignes imaginaires qui découpent le réel". Natacha Vas-Deyres a brillamment mené la discussion entre Norman Spinrad, Alain Damasio et Catherine Dufour.


Les 3 invités s'entendent pour dire que la frontière est un interface entre deux cultures. Norman Spinrad rapporte une discussion avec Timothy Leary, où celui-ci lui a fait part d'une théorie : quand les américains n'ont pas pu aller plus à l'Ouest dans leur conquête, et qu'ils ont atteint l'océan, ils sont allés vers le haut et ont commencé à s'intéresser à la conquête de l'espace.

De l'avis des trois auteurs, la frontière doit être une possibilité de découverte, mais en aucun cas de conquête ou de colonisation. Cette préoccupation se ressent particulièrement chez Alain Damasio. Selon lui, il faut se mettre sur une frontière avec l'autre, et pour l'occasion il emprunte le mot de Norbert Merjagnan : l'altérieur. La science-fiction doit explorer cet "altérieur".

Catherine Dufour précise que pour elle, les frontières ne devraient pas exister. Malheureusement, une grande partie de la littérature, du cinéma ou des jeux vidéos est basée sur la mécanique de la peur de l'autre, l'ennemi qu'il faut tuer (Star Wars, les zombies, Le seigneur des anneaux...). La partie intéressante de la science-fiction est celle qui fait état de la fascination pour l'autre, du souci de bien l'accueillir. C'est un clivage fondamental dans les choix de récit. Alain Damasio explique qu'il y a un problème de maturité dans les jeux vidéo, qui tracent deux mondes dont un doit disparaître, ce qui est le niveau zéro du rapport à l'autre. Beaucoup d'univers de science-fiction sont malheureusement basés sur cette opposition. Pour lui l'intérêt de la science-fiction est la logique du devenir tel que posée par Gilles Deleuze. Il faut interroger l'empathie, à l'image des histoires où le robot devient humain. Ecrire, c'est créer du conflit, du manichéisme et de l'opposition, mais dans ce combat des imaginaires il faut s'ouvrir à l'autre, s'influencer mutuellement. C'est l'enjeu politique du récit.

La frontière s'incarne aujourd'hui dans la création de zones, comme les zones de vacances sécurisées pour riches, que Catherine Dufour raconte avoir vues en Hongrie, ou comme Calais et tous ces systèmes de concentration aux frontières. Celui qui se protège est celui qui construit le mur, et le fait de façon unilatérale. Alain Damasio se demande comment mettre ces éléments en récit pour créer un choc des consciences. Norman Spinrad conseille la lecture d'un roman visionnaire de Wolfgang Jeschke dont il a oublié le titre... vérification faite, il semble qu'il ne soit pas traduit en français ni en anglais.

Catherine Dufour répond à la question du "pourquoi ne sommes-nous pas capable de régler ces problèmes ?" en rappelant qu'1% possède 80%. Ces possédants ont le pouvoir, les pétrodollars, les narcodollars... et ne veulent absolument pas régler les problèmes ; ils ont tout intérêt à ce qu'ils perdurent. (applaudissements dans la salle).

La rencontre se termine avec des questions et remarques du public. Une personne pointe du doigt le fait que l'époque marque le triomphe de la propriété privée sur la propriété collective. Norman Spinrad répond que le communisme a échoué et que nous vivons une période pré-révolutionnaire et qu'un modèle reste à inventer. Un autre intervenant cite l'exemple d'une expérience de psychologie sociale et renvoie à la vidéo "La leçon de discrimination". L'expérience montre les comportements de l'individu en cas de séparation d'un groupe selon des critères arbitraires. Il termine en mettant tout le monde d'accord : il nous faut comprendre et accepter que le rejet de l'autre fait partie des réactions humaines pour mieux lutter contre.
 
◄Design by Pocket